Épisode 6 : IL ETAIT UNE FOIS MON CPA EN EUROPE
Les Brigades du SCID, Saison 1 : la première série sociale uniquement sur Internet et les réseaux sociaux.
LE CPA : UN DISPOSITIF CREUX, MAIS CONVOITÉ AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE
Figurez-vous que Jean-Claude JUNCKER, Président de la Commission européenne, a soudain réalisé que «l’Europe n’est pas assez sociale». Si, si.
Vous savez, Juncker c’est le type qui a dit lors de la crise de la Grèce en 2015, au moment de la consultation du peuple : «Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens».
Là, on est dans le dur de l’ultralibéral. Dans la tête de Juncker et de ses petits copains, l’Homme n’existe que pour servir la finance, engraisser les puissants.
Mais quand même, Juncker sent bien que le peuple commence à en avoir marre de cette Europe. Les gens commencent à se rebeller, à voter n’importe comment ! Regardez le Brexit !
Il sent qu’il faut redorer l’image de l’Union européenne pour éviter que tout le monde ait envie de se barrer. Parce que si les pays membres commencent à quitter l’Union, c’est le retour des frontières ! Finie la libre circulation des biens et des capitaux qui rapporte TANT de pognon aux financiers et aux multinationales !
Pour y remédier, Monsieur Juncker lance une grande opération de com’ sur la dimension sociale de l’Europe. La Commission européenne s’est donc réunie en grandes pompes et a pris une décision grave et solennelle : il faut établir un socle européen des droits sociaux.
C’est beau.
Pour ce faire, elle a lancé une grande consultation publique à laquelle la France s’est empressée de répondre. En bon élève qu’elle est, la France a mobilisé ses forces vives (les députés, le Conseil Economique et Social, les partenaires sociaux….) qui ont mouliné, mouliné pour pondre :
LES 3 PROPOSITIONS SOCIALES DE LA FRANCE :
1ère proposition du gouvernement français : FAVORISER L’ACCÈS AU TRAVAIL PARTOUT EN EUROPE.
Comment ? C’est très simple : les étudiants, les apprentis, les stagiaires, les chômeurs et les salariés pourront être mobiles et travailler dans n’importe quel pays de l’Union. Voilà qui va résoudre nos problèmes de chômage.
2ème proposition du gouvernement français : ASSURER DES CONDITIONS DE TRAVAIL JUSTES ET ÉQUITABLES.
Comment ? En instaurant des salaires minima nationaux dans l’ensemble des États membres. Cela ne veut pas dire qu’il y aura un salaire minimum européen, nooon. Cela veut dire que chaque pays devra avoir SON salaire minimum. Ce qui est déjà quasiment le cas : 22 pays sur les 28 (bientôt 27 après le Brexit) ont déjà un salaire minimum. Cela va de 215 euros mensuels (Bulgarie) à 1950 euros mensuels (Luxembourg). Dix pays (à l’Est) ont un salaire minimum inférieur à 500 euros.
Voilà pourquoi toutes nos entreprises délocalisent dans les pays de l’Est !
Profitant de cet élan social européen, le gouvernement français va-t-il s’attaquer à ces délocalisations honteuses qui détruisent nos emplois et plongent des milliers de salariés et de familles dans l’enfer du chômage ? Pas du tout, bien au contraire.
La France veut rendre effectif le principe « salaire égal pour un travail égal sur un même lieu de travail ». Vous voyez le topo ? Le travailleur bulgare gagnera comme son collègue bulgare 215 euros par mois. Et tout sera pour le mieux. C’est ça que notre gouvernement appelle «DES CONDITIONS DE TRAVAIL JUSTES ET ÉQUITABLES».
3ème proposition du gouvernement français : PROTÉGER LES CITOYENS CONTRE LES ALÉAS DE LA VIE A L’HEURE OU L’ÉCONOMIE MONDIALE CONNAIT D’IMPORTANTES MUTATIONS.
Là attention si vous n’êtes pas déjà assis, vous allez tomber sur le cul. On vous le livre comme c’est écrit:
«Les autorités françaises souhaitent, à cette fin, qu’une initiative européenne soit prise en faveur de la généralisation d’un revenu minimum garanti à toute personne majeure, même quand elle n’est pas en situation d’activité, dans chaque État membre. De la même manière, chaque État devrait garantir l’accès à un panier de soins d’un niveau ambitieux, à une prise en charge en cas d’affection de longue durée, et assurer un revenu de remplacement décent aux travailleurs en cas de maladie-maternité, quel que soit leur statut.»
Non mais dites donc ! Ne serait-ce pas le revenu universel minimum de Monsieur Hamon, le candidat socialiste ???
Mais nous nous égarons un peu, revenons à notre CPA, Compte Personnel d’Activité.
La plus grande réforme sociale du quinquennat, selon Hollande. Voir notre article précédent
Souvenez-vous, nous avons vu que le CPA c’est globalement de grands effets d’annonce pour pas grand chose, des dispositifs très compliqués à mettre en œuvre, que personne ne connaît et qui ne vont pas changer la vie des salariés.
Bon, eh bien figurez-vous que notre gouvernement et la Commission européenne en font tout un foin.
Notre gouvernement n’a de cesse de promouvoir ce modèle social qu’est le CPA pour qu’il soit étendu au niveau européen.
Depuis le début de l’année, Myriam El Khomri multiplie les rendez-vous avec ses homologues européens pour présenter et vanter les mérites du CPA. L’Allemagne a déjà fait savoir qu’elle souhaitait le mettre en place.
À la demande de la Commission européenne, Myriam El Khomri est intervenue à la grande conférence internationale du 23 janvier sur le socle européen des droits sociaux. Elle était là pour parler EXCLUSIVEMENT du CPA :
« le CPA est un outil novateur qui vise à répondre aux besoins des actifs confrontés à un environnement en pleine mutation, qui justifie que les droits sociaux fondamentaux, individuels et collectifs, soient attachés à la personne du travail ». ouaah ! Trop génial.
Déjà rectifions : le CPA n’attache pas des droits à la personne, mais au salarié. Pas de travail, pas de droits. Ensuite, ce ne sont pas des droits collectifs, mais bien individuels, ce qui est tout à fait différent.
Le but ? Intégrer le CPA au futur socle européen des droits sociaux. Le sujet semble totalement consensuel au sein de la Commission européenne.
Pourquoi Juncker, ultralibéral, est autant séduit par le CPA ? Pourquoi notre gouvernement via la loi El Khomri (qu’on pourrait tout aussi bien appeler loi Macron II) qui, on l’a vu, est totalement au service des patrons, glorifie-t-il autant ce dispositif ?
Propagande du gouvernement :
«Inscrit dans la loi Travail, le CPA représente un progrès social considérable qui doit préfigurer la protection sociale de demain, permettre à chacun de construire son parcours professionnel ainsi que la création d’un droit universel à la formation.»
Très intéressante cette phrase. Elle démontre que notre gouvernement n’est pas très ambitieux sur les questions sociales !
C’est même un peu effrayant ! Si notre gouvernement (SOCIALISTE ?) considère que le CPA est un progrès social considérable… alors on part quand même de très, très bas.
Selon le gouvernement, le CPA doit préfigurer la protection sociale de demain.
Voilà qui est encore plus inquiétant. Car le CPA est un compte PERSONNEL, ce sont donc des droits INDIVIDUELS qui sont attachés au travailleur (et uniquement au travailleur).
Ce qui est tout à fait contraire à l’esprit solidaire de notre système de protection actuel !
En effet, l’article 111-1 du Code de la Sécurité Sociale dispose que :
« La sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale.
Elle assure, pour toute personne travaillant ou résidant en France de façon stable et régulière, la couverture des charges de maladie, de maternité et de paternité ainsi que des charges de famille. (…) »
Le CPA laisse donc présager une individualisation des droits qui serait une régression sociale majeure et dangereuse, car elle créera de nombreuses et douloureuses inégalités.
Ensuite, le gouvernement dit que le CPA doit permettre à chacun de construire son parcours professionnel.
Là encore, c’est une grande régression sociale qui s’annonce.
Aujourd’hui, c’est l’employeur qui a la responsabilité d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail. C’est l’employeur qui doit veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations (article L6321-1 du Code du travail).
Cette responsabilité est confirmée par les juges qui ont plusieurs fois relevé que les dispositifs d’accès à la formation à l’initiative du salarié (comme l’ancien DIF) ne peuvent avoir pour effet d’exonérer l’employeur de ses responsabilités.
Cette responsabilité de l’employeur l’empêche de faire n’importe quoi comme, par exemple, licencier un salarié pour inaptitude alors qu’il n’a jamais fait l’effort de le former. Des employeurs ont tenté alors d’invoquer le fait que les salariés n’avaient pas utilisé leurs heures de formation individuelles.
La Cour de Cassation les a plusieurs fois remis à leur place en estimant que le fait qu’un salarié « n’ait bénéficié que d’une unique formation professionnelle d’une demi-journée pendant toute la durée de son emploi dans l’entreprise établissait un manquement de l’employeur à son obligation de veiller au maintien de sa capacité à occuper un emploi, entraînant nécessairement un préjudice » que les juges du fond devaient évaluer.
Peu importe donc que le salarié n’ait pas manifesté le désir de faire valoir un droit à la formation, c’est bien à l’employeur de prendre l’initiative de la formation.
Cette responsabilité là, les employeurs n’en veulent plus. Ils veulent pouvoir licencier facilement, sans être ensuite condamné en justice pour manquement à ceci ou à cela. Le CPA sert à ça. Chaque salarié sera l’unique responsable de son parcours professionnel, il devra se débrouiller pour être en capacité de rebondir en cas de perte d’emploi ou de modification de son emploi. C’est lui tout seul qui devra veiller à rester compétitif sur le marché du travail. Car il a un formidable outil pour le faire : le CPA ! Souvenez-vous : la plus grande réforme sociale du quinquennat.
Si le salarié se débrouille tout seul, les employeurs ne sont plus responsables de rien.
Autre danger que nous voyons dans le CPA : la compilation numérique des données personnelles relatives à votre parcours professionnel. Le CPA va devenir une espèce de grosse base de données vous concernant. Le Gouvernement aura donc accès à toute votre vie (souvenez-vous, il y aura aussi vos fiches de paie !). Vous nous connaissez, nous sommes méfiants de nature…
Surtout quand on lit les réflexions de Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT à l’origine du CPA : « On peut imaginer une assurance employabilité, une banque des temps, une allocation de qualité de vie »…
Vous imaginez une assurance INDIVIDUELLE d’employabilité ? Sur des critères personnalisés car, avec le CPA, on connaît toute votre vie ! Mais où va-t-on là ?
C’est tout le contraire de l’esprit collectif et solidaire que nous devrions tous défendre !
C’est exactement ce que veulent les gros patrons, ces oligarques qui nous gouvernent.
Le CPA est un nouveau pas vers l’individualisation, la précarisation et la fragilisation des salariés. Un nouveau pas vers la déresponsabilisation des employeurs.
Et tout cela a vocation à être étendu au niveau européen, sous couvert de création d’un socle des droits sociaux ! Et tout le monde communiquera sur cette incroyable avancée sociale.
Et on peut tout imaginer du coup, pourquoi pas des salariés qui deviennent mobiles au niveau européen ? Et dont tout le parcours professionnel sera tracé grâce au CPA ?
Comme au temps du livret ouvrier créé en 1803 pour contrôler les déplacements des travailleurs sans qu’ils soient soupçonnés de vagabondage ou autres méfaits.
Ah oui, quelle belle avancée sociale vraiment !
A SUIVRE… JEUDI 16 MARS
Épisode 7 : LES BRIGADES ATTAQUENT LA BANQUE DU TEMPS
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